Extrait de l'introduction
Voilà la cataracte.
L'année 2013 commence à peine, sept ou huit mois seulement ont coulé depuis l'élection présidentielle, et nous y sommes : en quelques jours, la réalité s'est imposée. Le gouvernement a été contraint d'admettre que la croissance annoncée ne serait pas au rendez-vous, pas plus que ne serait respecté l'engagement de réduire le déficit budgétaire du pays à 3% de notre produit intérieur. Les signes inquiétants sont les mêmes que depuis des années : notre pays est toujours aussi dépendant de l'extérieur, notre déficit extérieur s'établit à nouveau à près de 70 milliards. Des centaines de milliers d'emplois ont été détruits à nouveau cette année, comme l'année dernière et l'année précédente. Et les drames humains qui traduisent ces chiffres se multiplient : cette fois, ce sont des immolations devant les bureaux de Pôle emploi.
On devine quelle va être la nouvelle étape, qui cette fois ne pourra pas se contenter de paroles et de lénifiantes assurances. Les décisions qui, pour l'instant, ont été habilement évitées seront rudes, et il ne pourra en être autrement.
La nation va découvrir qu'il n'existe aucun moyen d'éluder les réalités, au contraire de ce qu'elle avait cru, de ce qu'elle avait voulu croire, de ce qu'on lui avait fait croire, au cours de ce printemps trompeur, comme on le fait à chaque élection.
Et la vague des déceptions et des désillusions va gonfler, comme elle a si souvent gonflé dans notre pays. De sourdes révoltes s'amplifient au sein du peuple qui se sent trompé et qui constate que ses gouvernants, comme les précédents, et ceux qui venaient avant encore, l'ont bercé d'illusions.
La thèse de ce livre est que la vérité dite au peuple, partagée avec le peuple des citoyens est la clé de tout redressement.
Or depuis des années c'est la vérité qui a été chassée. C'est parce que la vérité a manqué dans le débat, et qu'on a manqué à la vérité, que la France est entrée dans l'impuissance politique.
J'appelle ici vérité une juste vision du réel, dont les acteurs politiques connaissent parfaitement les lignes directrices et les détails, et que pourtant ils évacuent ou ignorent chaque fois qu'ils se présentent devant le peuple au moment où il est appelé à décider de l'avenir. Qu'ils connaissent parfaitement, précisément, et qu'ils évacuent pour des raisons électorales.
C'est faute de respect pour cette vérité du réel lors des campagnes électorales que tous les pouvoirs, les uns après les autres, sont par la suite incapables de prendre les décisions nécessaires et trahissent la confiance, chaque fois plus faible, que leur accordent les citoyens.
On peut résumer à la lumière de ce constat les quinze ou vingt dernières années de notre vie politique. Pendant ces piètres décennies, la France, notre pays, qui apparaissait comme la nation majeure en Europe, a vu se désagréger son modèle politique, social, de services publics, d'État efficace et désintéressé, de collectivités locales lisibles, d'industries puissantes, d'éducation aimée et soutenue par la nation.
Les problèmes qui étaient les nôtres étaient parfaitement identifiables et solubles. Nous les avons systématiquement repoussés et éludés. Parce que nous avons refusé de regarder la vérité en face et que notre système politique a conduit les gouvernants à préférer les succès électoraux à court terme, ou la tranquillité, à la franchise des politiques tranchées.
Ce n'est pas un testament politique. Au contraire. Avec De la vérité en politique, François Bayrou donne sa vision de l'état de la France. Son livre, c'est un manifeste, celui de la morale en politique. Ce qui tombe à point nommé dans un contexte de retour des "affaires". Il se place ainsi dès le début sous le patronage de deux figures, l'une de gauche, l'autre de droite : Pierre Mendès France et Raymond Barre. L'auteur les convoque avec de Gaulle pour alimenter son credo, celui de la "vérité" - l'un de ses thèmes de campagne en 2012...
"Il n'est pas d'autre choix que de suivre son chemin", écrit-il au détour d'une phrase. Le livre dresse ainsi un portrait en creux de son auteur. Une sorte de Don Quichotte moderne qui se bat pour une certaine idée de la politique. (Abel Mestre - Le Monde du 28 mars 2013)