INTRODUCTION
Rachida a neuf vies, bien davantage même si l'on considère que vivre, c'est aimer. Quand elle apparaît sur les plateaux de télévision, le front, les talons et le verbe hauts, la mèche laquée et la veste cintrée, on tremble dans les hôtels particuliers, on s'émeut dans les duplex, le malaise règne dans les lofts.
N'a-t-elle pas été élevée au siège du «spectre», le premier cercle de Nicolas Sarkozy ? Rachida sait flinguer et elle flingue. Le pouvoir est là et les sondages sont bons ? Rachida flingue, sans doute pour garder la main, avec ou sans silencieux. La tempête fait rage, les bonnes opinions s'enfuient ? Rachida flingue aussi, anticipant les contrats mis sur sa tête. Le pouvoir est loin, les télévisions appellent moins souvent ? Rachida les sollicite, en promettant de flinguer. Dans les hôtels particuliers, les duplex et les lofts, on se prend à regretter une confidence, à maudire une allusion. Tout ce que vous avez dit va se retourner contre vous, et vous n'aurez pas le droit à un autre avocat que vous-même.
Ceux qui l'ont lancée promettent à ceux qui l'ont reçue que c'est la dernière fois. Mais on ne contrôle pas Rachida Dati, qui a mangé trop de pain noir pour lâcher un quignon de pain blanc. Elle connaît le destin réservé à certaines James Bond girls : un tour de piste et la mort dans le rôle de la traîtresse. Alors elle continue. Sans soutien, sans abri et sans arrêt. Et ça marche.
Rachida ne meurt jamais
MADAME LA MAIRE, IN ET OFF
Il s'appelle Michel Abbate. Dans le VIIe arrondissement de Paris tout le monde le connaît par son prénom. Pendant vingt-cinq ans il a été ouvrier chef de Tune des boucheries les plus chères de la capitale, la Centrale Cler, dans la chicissime rue du même nom. Aujourd'hui, à soixante-huit ans, il coule une retraite bien méritée, qu'il consacre au militantisme politique. À chaque élection, cet UMP de choc sort ses couteaux. Et, depuis cinq ans, c'est pour épauler et défendre sa petite protégée et son idole, Rachida Dati : «Jamais je ne l'ai entendue répondre en arabe à un Maghrébin. Il serait à ses yeux inconvenant de parler sa langue maternelle. Elle revendique son identité française.» C'est clair et net. Il ne la voit pas comme une beurette. Elle non plus d'ailleurs.
Michel est une super bonne pioche pour la maire de cet arrondissement qui a toujours voté à droite. Non pas que les bouchers soient la tasse de thé de la bourgeoisie éclairée, mais celui-là est une vraie personnalité. Huitième d'une famille modeste de neuf enfants, il sait de quoi et de qui il parle : «Lorsqu'on sort, comme Rachida, d'une fratrie de douze mômes et qu'on a son parcours, il y a de quoi perdre la tête. Elle n'a rien oublié.» Lui non plus. Il réside toujours à Drancy en Seine-Saint-Denis, d'où il gagne presque chaque jour la capitale en scooter. Il sillonne et connaît cette banlieue déshéritée comme sa poche. Et en y accompagnant Rachida Dati en période électorale il a pu observer le phénomène. «Je l'ai suivie dans le 93, à Villepinte, à Aubervilliers, à Pantin... Chaque fois c'est incroyable. On quitte la salle de réunion à 23 heures et ils sont tous là à l'acclamer, Rachida, Rachida... Il nous faut une demi-heure pour sortir car tout le monde veut sa photo avec elle. Les gens se reconnaissent en elle.» Sur Rachida, ce grand costaud bourru est intarissable : «On l'a tellement flinguée... Elle a le nez, elle sent les gens. Édouard Frédéric Dupont, dit «Dupont les loges» [maire du VIIe, de 1988 à 1995] était l'homme des concierges, elle est la femme de tout le monde.» Et, pour finir, le cri du coeur : «Avec elle, on pisse de rire dans son froc. Je serai son homme dès que la campagne des municipales va commencer.»
(...)
"Elle est la plus grosse erreur de ressources humaines que j'ai commise", aurait reconnu depuis l'ancien président de la République. Mais comment ne pas succomber à cette boule de charme et d'énergie, à cette intelligence des situations et à cette certitude qu'elle est l'émanation d'une part de la société française si mal représentée au sommet de l'État ? Mais pour en arriver là, que d'arrivisme, que de confiances trahies !...
C'est ce portrait où se mêlent admiration, sévérité, bienveillance et confessions que dessine la journaliste Élisabeth Chavelet dans Rachida ne meurt jamais un livre renseigné, vivant et parfois truculent tant le sens de la repartie de son héroïne fait souvent mouche. (Jérôme Béglé - Le Point du 14 novembre 2013)