LE PORTRAIT DE MANUEL
Sous nos yeux, deux Manuel Valls.
Le premier, en costume sombre, chemise blanche et cravate rouge, teint hâlé et cheveux bruns, ordonne à Homère, le petit chien de son épouse, de descendre illico du canapé installé dans son bureau. La grande pièce jouxte le jardin du ministère de l'Intérieur, place Beauvau, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Sur un meuble d'angle sont posés un ballon et un maillot du Barça, le célèbre club de football de Barcelone.
Le second trône au-dessus du premier, avec un étonnant effet de perspective. Il paraît plus jeune, beaucoup plus jeune, plus fragile aussi. Il émane de lui une intense force intérieure.
L'homme et son portrait. Le ministre qui nous reçoit pour nous raconter sa vie, ce 8 janvier 2013, en attisant le feu qui crépite dans la cheminée et l'adolescent, âgé de treize ans, qui a été peint en 1976 par son père, l'artiste catalan Xavier Valls. Le tableau de 116 sur 89 centimètres est aujourd'hui accroché au mur du bureau ministériel. Interrogé sur la présence de cette oeuvre intimiste, le ministre se retourne immédiatement vers la peinture intitulée Retrat de Manuel : «portrait de Manuel». Il y contemple son double, moins assuré, certes, gracile, mais tellement ressemblant. Sur la toile, Manuel Valls, les mains jointes devant lui, porte un pantalon marron, une chemise blanche à col montant. Ses cheveux recouvrent partiellement les oreilles, les pattes étant laissées longues. Il ne sourit pas, ou alors pas vraiment, juste un rictus énigmatique qui se devine grâce à un pincement de la lèvre. Qui regarde-t-il ? Impossible de le savoir. Le peintre, sans doute, ou l'observateur virtuel situé légèrement plus loin. Le Retrat de Manuel, marqué des initiales X V sur le côté inférieur droit, est signé et daté au dos. Il a été exposé en 2010 au musée de l'Orangerie, dans le jardin des Tuileries, à Paris, lors de la rétrospective Les Enfants modèles.
Le ministre de l'Intérieur, la personnalité la plus populaire du gouvernement, l'homme qui rêve d'un destin présidentiel, se lance et parle alors d'une voix différente de sa voix habituelle, comme altérée par ce moment d'introspection : «J'ai besoin d'avoir dans mon environnement personnel ou professionnel la peinture de mon père. Cela constitue mon univers.» Durant sa jeunesse, Manuel Valls baigne dans une ambiance artistique très particulière. Lorsqu'il revient de l'école avec son cartable, arrive chez lui et entre dans l'appartement familial qui donne sur le quai de l'Hôtel-de-Ville à Paris, il voit son père courbé devant son chevalet «peindre, peindre lentement en souffrant». Le silence est requis, y compris le samedi. Ce jour-là, Luisa, sa mère, accompagne Manuel et sa soeur Giovanna au square de l'Archevêché, derrière Notre-Dame, à quelques centaines de mètres de chez eux. «Pour que nous ne dérangions pas mon père», poursuit Manuel Valls, encore imprégné de cette atmosphère recueillie. Le jardin ouvert en 1837 porte aujourd'hui le nom de square Jean-XXIII. Il se situe à la pointe sud-est de l'île de la Cité, où se dressait auparavant l'église Saint-Denis de Paris, elle-même érigée sur les lieux du supplice de saint Denis. Lorsque les enfants n'y jouent pas, ils se rendent au cinéma ou bien chez des amis. Xavier ne s'accorde qu'un jour de repos, le dimanche. Et encore, pas systématiquement. «Il travaillait de manière extraordinaire, matin et soir, été comme hiver, certifie Luisa, l'épouse de Xavier. Il peignait inlassablement, sans relâche, comme tous les artistes.» À posteriori, Manuel livre une analyse lucide de ces années-là : «Le fait d'avoir vécu dans cet appartement, qui était aussi l'atelier de mon père depuis 1951 et où ma mère vit toujours, a dû beaucoup compter, plus d'ailleurs que je ne l'imaginais au sortir de l'adolescence.»
Ministre le plus populaire de l'équipe Hollande, Manuel Valls est parfois décrit comme un " Sarko de gauche ". Préparant lui aussi sa conquête du pouvoir depuis son bureau de ministre de l'Intérieur, il incarne l'énergie et l'autorité. Mais que savent vraiment les Français de cet homme charismatique et secret ? Pour la première fois, Valls se confie longuement, sans tabou, sur ses origines catalanes, sa jeunesse pétrie de culture, ses débuts en politique émaillés de succès à la hussarde mais aussi d'échecs tombés dans l'oubli. Fils d'un célèbre peintre espagnol, Xavier Valls, et d'une mère suisse, Luisa, belle comme un tableau de Léonard de Vinci, Manuel n'a obtenu la nationalité française qu'à dix-neuf ans. Sa saga familiale qui prend racine dans des contrées lointaines et inattendues est marquée par une douleur secrète : sa sœur cadette Giovanna a connu une descente aux enfers qui tourmente ce conquistador au caractère pourtant bien trempé. Les auteurs ont rencontré plusieurs dizaines de témoins de tous horizons, en France et à l'étranger, et retrouvé des documents inédits pour percer le mystère de celui qui est devenu le premier des " premiers ministrables " socialistes. L'étudiant engagé, né en 1962, élu maire d'une grande ville de banlieue, Évry, père de quatre enfants et amoureux d'une musicienne de renom le cache à peine : l'Élysée, il y pense, même quand il regarde un match du Barça dont il est un fervent supporter !